
Ce texte peut être lu de manière autonome, mais on peut préférer le lire après Quand toutes les barrières tombent ou Les lendemains qui déchantent.
Un an après mon entrée en fonction à l’Arche de la Vallée, soit au début de l’an 2000, on m’avait demandé d’écrire un témoignage personnel, car dans la structure de l’Arche en France, il y avait plusieurs regards posés sur cette histoire rocambolesque d’un étranger qui ne connaît rien à L’Arche et qui est désigné comme responsable d’une communauté bien établie. Le texte qui suit est la version intégrale que j’avais écrite il y a donc 17 ans!
Petite annonce
Cherchons jeune cadre, étranger et naïf, avec compétences professionnelles éprouvées pour un poste de responsable d’une communauté de l’Arche déjà bien implantée et ayant vécu diverses situations humaines, notamment une croissance récente, et composée d’un nombre important d’Anciens qui ont œuvré à différentes fonctions à plus ou moins grande visibilité. Mandat axé sur l’adaptation de l’organisation aux changements vécus, tensions inévitables, défi prenant, salaire modeste…
Existe-t-il quelqu’un qui ne s’étonnerait pas devant une telle proposition ? Et pire… qui y répondrait ? C’est pourtant à peu de choses près, bien que de manière plus formelle, la proposition que m’a faite l’équipe de discernement de l’Arche de la Vallée en juillet 1998 ! J’étais venu à Hauterives avec ma famille pour rendre visite à mon ami, responsable en fin de mandat. Une suite de circonstances « favorables » ou « providentielles » selon la lecture qu’on en fait, a permis plus tard qu’on m’invite à porter la responsabilité de cette communauté, moi qui ne connaissais l’Arche que par les écrits et conférences de Jean Vanier ainsi que les témoignages d’amis, moi qui étais Canadien en sol français, moi qui travaillais dans un domaine gratifiant et lucratif, dans un quartier d’affaires de Paris, moi qui devais déraciner toute ma famille pour rejoindre cette communauté nichée dans les collines du pays de la Drôme… Et pourtant nous avons dit oui !
J’étais assez peu préparé à rencontrer la communauté. L’expérience accumulée par une partie importante des assistants avait de quoi susciter l’envie de bien des communautés de l’Arche : une responsable majeure et coordinatrice régionale dans l’Arche depuis 24 ans, une responsable majeure engagée depuis 10 ans, un responsable majeur présent avec sa femme depuis 8 ans, un couple avec 24 ans d’engagement venu chez nous après avoir exercé des responsabilités dans plusieurs communautés et à l’international, un autre couple et une femme présents depuis 10 ans, plusieurs autres entre 3 et 5 ans… À quoi pouvait-on s’attendre d’un nouveau responsable face à tant d’expérience ? Quel crédit allait-on lui accorder ?
Culture française ? Culture de l’Arche ?
Dès les premières réunions que j’ai animées, j’ai souvent croisé des yeux en points d’interrogation. On semblait s’étonner de ma parole. Était-ce seulement mon accent ou le choc culturel entre un Nord-américain et des Français ? Était-ce plutôt mon peu d’intégration avec l’Arche, le manque de maîtrise de son vocabulaire interne ? Ma différence était perceptible à tous ces niveaux. J’ai dû prendre les bouchées doubles pour apprendre à manier le langage car je n’étais pas un assistant typique à qui l’on permet cette prise de connaissance progressive. Je devais animer des réunions de Permanents, du conseil communautaire, de la coordination, donner les nouvelles aux soirées communautaires, partager mes interrogations, superviser les responsables majeurs, etc. comme si j’avais toujours connu l’Arche… Le crédit dont je disposais était fortement soumis à la confiance en l’équipe de discernement qui avait eu la drôle d’idée d’appeler ce petit bonhomme. J’avais été accueilli favorablement et j’étais porté par les Anciens, mais jusqu’à quel point ?
Les premiers doutes sont survenus dès les premières tensions. Rapidement, un ancien m’a fait comprendre qu’il n’était pas en sécurité avec moi comme « garant » de la vie communautaire et qu’il se donnait la mission de pallier mon insuffisance. Cette personne avait en partie raison… De quoi pouvais-je être garant, sinon d’une volonté personnelle d’épouser la communauté et de la respecter, de chercher à comprendre son histoire et à la conduire en tant que berger ? Vouloir, c’était si peu ! D’autres ont regretté mon empressement à me mettre au boulot et à travailler l’organisation, la constitution. Comment faire évoluer des structures sans les évaluer, en étudier le sens afin de proposer des améliorations ou de nouvelles fonctions ? Ma communauté avait attendu longtemps son nouveau responsable et avait freiné toute évolution, tout changement, afin d’éviter d’engager de nouvelles orientations avant son arrivée. C’était sage… Mais maintenant qu’il était là, ce responsable, le passage du statu quo au mouvement allait réveiller les insécurités des assistants face aux changements, face à l’avenir de leur communauté, face à leur avenir dans la communauté…
Entre humilité et courage
Il m’a fallu rencontrer souvent les Anciens, surtout ceux qui ont des responsabilités. En travaillant avec eux je me suis mis à leur écoute pour comprendre leur histoire, leurs soucis, leurs espérances. Les entretiens privés sont d’une grande utilité pour permettre à chacun de dire sa vision au nouveau responsable qui tire beaucoup d’avantages à tenir compte des différents points de vue. J’ai aussi entendu une multitude de paroles qui manifestaient des incompréhensions, voire une non-acceptation des uns ou des autres. Ce fut là ma plus grande peine, ma désillusion face à la vie communautaire. Et lorsque vint le temps du dialogue, que dire ? Entre l’humilité à garder devant un Ancien et le courage de dire ses propres intuitions, comment trouver la dose ? J’ai fait des erreurs dans ce domaine tant par méconnaissance que par maladresse… Heureusement, l’indulgence est naturelle envers un nouveau. Envers un maladroit, c’est parfois plus compliqué…
Après une année, je puis dire que la communauté m’a bien « reçu ». La cote de crédit qu’elle m’accorde maintenant repose davantage sur des actes et sur certaines réalisations que nous avons faites ensemble et qui, malgré les résistances naturelles, ont commencé à faire bouger les choses. L’avantage de l’Arche, c’est de compter sur des assistants, surtout les plus anciens, qui « en ont vu d’autres » et qui ont travaillé à maintes reprises leur propre humilité. Ils savent se tenir discrets lorsque nécessaire, mais ils maintiennent une vigilance constante qui permet à un jeune responsable d’être alerté s’il échappe quelque chose.
Je crois qu’il faut nuancer une affirmation du genre « quelqu’un de l’extérieur saura amener du neuf ». En effet, celui qui vient d’ailleurs doit d’abord s’inféoder à sa communauté et s’y intégrer. De toute façon, le changement est au cœur même de la vie communautaire dans l’Arche. Les passages incessants d’assistants qui vont et viennent en sont déjà une cause naturelle, de même que les interpellations des personnes accueillies. Le responsable qui arrive sans expérience de l’Arche peut avoir des idées nouvelles mais il doit d’abord les confronter à sa « terre d’accueil ». J’ai expérimenté que les véritables acteurs du changement sont déjà dans la communauté et leur ouvrir une oreille permet de trouver les meilleures voies pour l’avenir.
Je terminerai en notant que les Anciens sont généralement des gens de prière. Et leur propre vie spirituelle est un lieu où ils portent la communauté avec leur rêves et leurs difficultés. En cela, ils sont une source inépuisable de richesses, dans la mesure où, ensemble, avec un esprit humble et éveillé, nous acceptons d’ouvrir toutes les portes à l’œuvre de Dieu qui échappera toujours à nos visions personnelles.
La suite par ici : Ces histoires gravées pour toujours—>
j’apprend beaucoup à travers tes récits, sur toi ainsi que de belles enseignements.
Merci et ses vraiments enrichissants.
Très belle histoire!
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Geniales toutes vos interrogations, votre ecoute bienveillant, sans jugement des uns des autres.
Ceux ci sont bien dans l’esprit de l’Evangile et de ce que Jean Vanier transmet dans le monde depuis la fondation de l’Arche. Merci pour l’esperance qui rayonne a travers votre temoignage!
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