Quand notre fils nous a appris sa naissance, au lendemain de cette fin de soirée du 21 septembre 2013, je me suis réjoui comme n’importe quel grand-papa l’aurait fait. Aurélie était née. Notre fils nous a raconté les circonstances, comme n’importe quel bon fils. Il a gardé un « détail » pour la fin: la gynécologue est quasi certaine qu’Aurélie présente une trisomie 21. Silence. Et puis la surprise. Et la joie. Trisomie 21, et alors?

Notre fils Steve est un jumeau. Nous l’avons adopté lui et son frère alors qu’ils avaient 2 ans et 8 mois. Après eux, nous avons adopté trois autres garçons, tous avec des « particularités ». Christian, un Roumain avec un handicap physique, un fonctionnement intellectuel déficient et une santé mentale fragile; François, lui-même jumeau, adopté seul à 5 mois car il présentait lui aussi une trisomie 21; et Xavier, deuxième enfant d’une mère déclarée incapable parentale, avec des séquelles de négligence dans les premiers mois de sa vie, accueilli chez nous à 16 mois. Steve et sa conjointe Annie avaient déjà trois beaux enfants avant le début de cette grossesse. À 26 ans, Annie ne fait pas partie des femmes à risque et n’a donc pas été « investie » pour subir les tests qui sont devenus systématiques dès qu’une femme est enceinte à 30 ans et plus. Mais la nature joue des tours! Aurélie est apparue avec son minois de triso classique.
Pourquoi?
Steve n’a cessé de nous dire et nous redire, en crescendo comme dans le Boléro de Ravel, qu’il était content de sa petite fille, qu’il était content de sa trisomie 21. Annie n’a pas eu de réaction catastrophique non plus. Son souci premier était le regard des autres. Comment sa petite Aurélie vivrait ce regard, surtout des autres enfants. Ce fut donc une surprise, sans pourquoi.
Pourquoi est la première question qui vient à l’esprit des parents « normaux » devant l’arrivée d’un cadeau « mal emballé » par la nature. Tous les couples qui mettent au monde un bébé qui présente une ou des particularités, génétiques ou non, se la posent constamment: Pourquoi? Et vient ensuite les autres questions, plus ravageuses: Pourquoi cela arrive à nous? Qu’avons-nous fait pour mériter cela? Et ce sont des questions qui étouffent la joie de la naissance. L’enfant naît et est accueilli avec des questions plutôt que dans le bonheur. Oh! Le bonheur finit généralement par venir aussi, car ces petits coeurs savent charmer et gagner même les plus endurcis. Il suffit simplement de demeurer avec eux, quelques jours, quelques semaines, et puis voilà. La joie succède au malheur.
Dans le cas de Steve et Annie, pas de pourquoi. Juste de la joie. Et pour nous, grands-parents, une joie supérieure, car notre François va pouvoir montrer le chemin à sa nièce, le chemin d’une vie normale avec une différence.
Pour quoi?
Notre état fébrile nous donnait envie de partir immédiatement pour aller à la rencontre de notre petite-fille, de ses soeurs et son frère, et bien sûr de leurs parents. En êtres raisonnables, nous nous sommes retenus. Cela viendrait en son temps, car les 500 km qui nous séparent exigent une certaine préparation… Mais voilà qu’un appel survient, à midi le vendredi. Notre fils en larmes cherche à expliquer à sa mère ce qui se passe. Elle décode… Problème au coeur. Il n’est pas séparé en deux. Une valve ne se referme pas. Elle est aux soins intensifs. Misère! Nous finissons par comprendre qu’elle n’a qu’un seul ventricule. C’est une situation relativement fréquente, peut-on comprendre lorsqu’on cherche un peu sur l’internet. Mais cette valve qui ne se referme pas est plus inquiétante pour le moment. C’est la valve qui donne sur l’aorte, donc l’artère principale. Le sang vicié se mélange à celui qui est purifié. Nous appelons nos familles, nos amis, même une communauté Facebook à se mettre en communion avec Aurélie pour la soutenir. Un tourbillon d’ondes positives et de prières se met en branle.
Samedi matin, ma femme revient de sa marche et me dit: « Si je trouve une solution pour les enfants, on monte tous les deux aller-retour? » Je dis oui sans hésiter. Elle trouve rapidement une solution. Nous partons. Après un certain flottement sur place, à l’Hôpital de Montréal pour enfants, car on ne trouve plus les parents, nous parlons à une infirmière qui accepte malgré le protocole de nous dire tout ce qui se passe. Nous entendons cette version plus technique et nous sommes mieux rassurés. Steve et Annie nous rejoignent et obtiennent que nous puissions passer quelques minutes avec Aurélie. Un si petit bébé. Une merveille. Son état et ses nombreux tubes et fils nous rappellent les nombreuses hospitalisations avec nos propres enfants, François surtout, qui a passé plus de cinq semaines au total aux soins intensifs.

Quand j’écris ces lignes, la situation est inchangée. Les trois échographies du coeur n’indiquent toujours pas que la valve se referme naturellement. L’équipe médicale préfère attendre un peu. Aurélie est née deux semaines avant terme, c’est sans doute une question de temps pour que la valve prenne sa fonction. Rien n’altère notre confiance, car une conviction nous habite: cette vie-là n’est pas pour rien. Elle a un sens, comme toutes les vies humaines.
Ce que nous savons par expérience, c’est que les personnes qui présentent des différences, surtout dans leur intelligence, ont de tout temps marqué les sociétés. Pendant des siècles, on les a le plus souvent mis au rancart, cachés dans les placards, à l’abri des regards. Mais on ne compte plus les histoires vraies qui ont donné naissance à des récits mettant au centre ces personnes d’abord comme les méprisés ou les bouc-émissaires qui peuvent devenir des vecteurs de changement et d’humanisation.
Ayant vécu dans deux communautés de l’Arche, en France et à Montréal, j’ai acquis cette certitude que « le plus petit » est celui qui a le plus grand pouvoir. Lorsque tous les yeux se tournent vers le petit, quelque chose se passe. Le petit peut s’y prendre de diverses manières. Il peut jouer, pleurer, crier. Il peut souffrir, mendier, mourir. Chaque fois qu’un petit ou une petite fait se tourner les regards vers lui ou elle, un peu d’humanité peut commencer à surgir. Elle est toute là, la fécondité des petits…
Je ne sais pas « pour quoi » Aurélie est venue en ce monde, maintenant, dans la famille de mon fils, dans ma famille. Je n’arrive pas à cesser de me réjouir et de rendre grâce pour cette vie qui sera protégée et aimée dans ce cadre précis alors que le monde se montre généralement hostile à l’endroit de ces petits êtres qu’on préfère souvent ne pas laisser naître. Et pourtant, je me répète, chaque vie porte en elle sa propre fécondité. Chaque vie humaine est porteuse d’une mission, d’un projet à accomplir. Dieu a fait les choses ainsi.

Avec son oncle François et son petit-cousin Yohan, Aurélie viendra agrandir le cercle de nos « tricomiques 21 ». Mon frère et ma belle-soeur sont aussi heureux que nous le sommes à cette idée. Vraiment, ce ne sont pas nos enfants, mais plutôt nous-mêmes qui sommes un peu « gogols ». Que voulez-vous, quand on a goûté à l’amour de ces êtres magiques, on sait… On sait que sans eux, le monde ne serait plus pareil. Il serait froid comme l’hiver.
Pour vous prouver ce que j’avance, je vous fais ce petit cadeau en terminant. Imaginez un monde où ceci n’existerait pas… Mon neveu Yohan avec sa maman, sur scène:
Vraiment un très beau texte Jocelyn. Un texte qui Me fait réfléchir et grandir. Une image « vaut » milles mots et là encore c’est la cas. La vidéo parle plus fort que les mots.
J’ajouterai: « Pourquoi pas! »
Merci Luc. Ta suggestion est intéressante! Peut-être qu’elle est implicite ou bien que c’est une conclusion logique à mon texte…
C’est tout à fait ça! la conclusion m’a forcé de dire: « Pourquoi pas! »
Ce n’est vraiment pas une suggestion…
Merci encore pour ce texte.
ses enfants sont un cœur sur deux pattes,ils ont beaucoup d’amour a donné et a recevoir,et je sais de quoi je parle étant donné que j’ai été en contact très jeune avec ma tante qui est trisomique.Bravo a vous !
Merci Martine.
Ping :“Pourquoi pas ???” (écho) | Le Bonheur est dans les oui
bonjour,
je viens de découvrir votre blog en cherchant des infos sur l’Arche pour mon beau-frère. je lis cet article et je voulais y réagir. j’ai 3 beaux enfants. quand ils avaient 4 ans, 3 ans et presqu’1 an nous avons appris que les 2 aînés souffraient de troubles autistiques. et il y a un an nous avons appris que le petit dernier était autiste également. ce diagnostic nous a permis de trouvé une réponse à la question de savoir pourquoi le quotidien était si difficile pour nos enfants, il nous a aussi permis de mettre en place des thérapies adaptées. mais il n’a rien changé dans la manière dont nous voyons nos enfants : ils sont toujours aussi merveilleux. je ne me suis jamais demandé « pourquoi nous ? », peut-être parce que je n’ai jamais été déçue que mes enfants soient comme ils sont : je ne les voudrais pas différents, je les aime tant comme ils sont ; je voudrais seulement parvenir à faire en sorte qu’ils souffrent moins (car ils souffrent de nombreuses crises, du fait de leurs hypersensibilités, du fait que notre monde est souvent une violence pour eux qui ont tant besoin que tout soit immuable). en fait je me suis toujours dit : pourquoi pas nous ? la maladie fait partie de la vie, sans microbes il n’y aurait pas de vie, et la machine humaine est si compliquée qu’il est bien normale que de temps en temps il y ait des « erreurs » génétiques : c’est le prix de la complexité de l’humain. alors puisque la maladie existe, pourquoi pas nous ?
merci pour votre blogue. vous avez une très belle famille, et votre fils aussi.