Comme tout le monde, j’ai été choqué par les images des incendies qui ont détruit une partie de la ville de Fort McMurray en Alberta. Comme tant d’autres, j’ai répondu à la demande de la Croix-Rouge pour soutenir l’aide d’urgence. Comme la majorité des gens qui possèdent un minimum de compassion, je suis peiné pour tout ce que les habitants de cette ville et de cette région ont subi et continueront de subir dans les prochains mois. Je ne fais que m’imaginer dans ce bourbier avec ma famille pour saisir à quel point rien ne sera plus jamais pareil pour ces sinistrés. Gens de Fort McMurray, vous avez toute ma sympathie.
Oui, mais…
J’ai déjà visité Dawson City, au Yukon. Cette ville qui n’en est plus une avait déjà compté 40 000 habitants en 1898, au plus fort de la ruée vers l’or. Elle n’en compte plus qu’un petit millier, principalement en attente des touristes qui y passent durant l’été. Curieusement, plus de la moitié de la ville a été détruite par un incendie catastrophique, en 1899. Cette année-là, la ville a vu partir 32 000 habitants et il n’en restait que 5 000, deux ans plus tard. L’incendie avait ruiné la quête de l’or jaune. Après le départ des miniers, des marchands, des saloons et des prostituées, les graves dégâts environnementaux avaient modifié le paysage de manière définitive et laissé la ville elle-même dans un état lamentable. Fort McMurray, c’est la répétition, en des centaines de fois plus polluant, de Dawson City.
J’ai entendu que pour aider à rebâtir la ville, il faudrait rapidement dire oui au fameux pipeline Énergie Est. De cette manière, on enverrait un signal de solidarité à toutes ces familles qui se sont ruées dans cette région depuis 10, 20 ou 30 ans, afin de se sortir de leur endettement ou du manque de travail dans leur région d’origine. Faut-il vraiment reconstruire Fort McMurray et dire oui au pipeline?
Des choix pour sortir du pétrole
Je ne suis pas spécialiste, mais on dit que le cours du pétrole ne remontera pas à des prix planchers qui assureraient la rentabilité de son extraction des sables bitumineux. Il est fort probable que les choix économiques affecteront cette région d’ici peu. Par ailleurs, tous les gens qui ont visité cette région – je pense entre autres à Nancy Huston, albertaine – se disent horrifiés par la vision d’enfer que cette exploitation honteuse cause à l’environnement, voyant même des conséquences sur le comportement des habitants.
De tous les lieux que j’ai visités sur Terre – et j’ai été dans tous les continents -, c’est l’endroit du monde où je me suis sentie le plus mal à l’aise. C’est comme si je voyais l’avènement d’une humanité… inhumaine. Une humanité qui n’est là que par rapport à une sorte de survie physiologique. (Nancy Huston)
La ville fonctionnait déjà au ralenti en raison du marché anémique du pétrole. Reconstruire ces maisons à grands frais dans une région destinée à se vider de toute façon d’ici 30 ans, lorsqu’on y aurait épuisé toutes les ressources du sous-sol, est-ce une vraie vision d’avenir? Il me vient en tête la fermeture de Shefferville et la chanson de Michel Rivard…
Je pense alors aux enfants des ouvriers de Fort McMurray. Ceux-ci sont déjà condamnés à quitter cette ville pour étudier et travailler obligatoirement dans un autre domaine que leurs parents. Ces derniers, vieillis, comme à Shefferville, quitteront peu à peu leur ville avec leurs pickups usés parce que l’argent n’aura plus afflué depuis trop longtemps.
J’ai vu une famille de ma rue avec laquelle nous avions des liens par nos enfants respectifs être divisée longtemps par le travail du père en Alberta. La famille a choisi de partir le retrouver il y a quelques mois. J’avais déjà de nombreuses questions face à ce choix, dans un contexte où la chute des cours du pétrole paraissait déjà alarmante. J’ai eu de la compassion pour les enfants qui partaient de leur chez-soi avec le cœur lourd. Et maintenant qu’ils font peut-être partie des familles sinistrées, quel choix ces parents feront-ils pour l’avenir de leurs enfants?
Je sais bien à quel point les difficultés économiques d’une famille sont déterminantes pour son choix d’habitat. Mais pour rien au monde je choisirais, aujourd’hui, de retourner vivre à Fort McMurray, une ville dont on connaît déjà la date de péremption. Et pour rien au monde je voudrais que nos taxes et impôts y contribuent. Qu’ils servent plutôt à relocaliser et à développer d’autres secteurs d’emploi.
Je me dis que nous sommes si nombreux à croire qu’il faut sortir du carcan pétrolier que nous ne pouvons pas ne pas estimer que la tragédie actuelle constitue une réelle occasion de penser et faire autrement.
Reconstruire ou pas ces quartiers dévastés? Voilà la question. Pour moi, il est plus que temps que nos gouvernements, nos entreprises et les ménages se tournent vers les énergies vertes. Si la nature s’est chargée de donner un signal très fort, peut-être faut-il simplement saisir ensemble le moment favorable pour repartir sur de nouvelles bases en soutenant dès à présent l’exil des familles de Fort McMurray pour l’amour de leurs enfants et leur avenir autrement que joué d’avance.
J’ai les mêmes questionnements et je suis d’avis que ce genre de citée champignon qui surgissent juste le temps de faire faire du fric à des compagnies qui à plus ou moins longues échéances lèveront le cap, en laissant la terre massacrée pour aller faire de même ailleurs. On a qu’à penser à la désolation des villes de la Côte Nord.. De tout coeur avec les gens qui ont tout perdu, leurs enfants qui subissent ces grands dérangements mais c’est à juste titre une sacrée belle occasion de passer à un autre genre de développement.