Menu Fermer

L’amour, malade à en tuer

Image diffusée sur la page Facebook du présumé tueur de Trois-Rivières – février 2014

Est-ce moi ou, ces temps-ci, on n’en finit plus avec les « drames familiaux »? Deux morts par ci, trois autres par là. On s’en étonne encore, on se demande comment cela peut arriver, on s’indigne, on compatit… Et on oublie, jusqu’à la fois suivante. Mais justement, cette autre fois me paraît venir plus vite qu’avant.

La peine, la colère, l’envie de faire mal, c’est bien naturel lorsqu’une histoire d’amour se termine mal (y en a-t-il, hormis celles qui durent, qui se terminent vraiment bien?). Dans l’envie de faire mal, celle de tuer est souvent incluse, au fond de la douleur, comme un désir d’effacer l’autre définitivement. Mais tout comme le jeune garçon en pleine phase d’Œdipe ne tue pas son père pour de vrai, tuer son ex-conjointe ou son ex-petite-amie en emportant éventuellement d’autres innocents ne devrait pas faire partie des options réelles!

Effacer l’autre…

Lorsque la rupture est survenue pour l’un de mes proches, sa colère n’a cessé d’augmenter, de jour en jour. Il aurait pu chanter ce cri du cœur du groupe Zébulon: « Mais ça m’fait mal en d’dans » entendu récemment à La Voix. Autant le besoin de rester proche de son enfant avait été sa raison d’être et de durer aux derniers jours de la relation, autant la rage avait effacé ce désir. Il était devenu incapable d’envisager un lien aussi proche de l’autre alors qu’il avait si mal. Deux semaines on passé, puis trois, puis plus d’un mois. Rien ne s’apaisait, au contraire. À quel moment aurait lieu la cassure, cet instant où dans la tête le déni de l’interdit survient pour laisser place à une conscience « claire » de la seule chose qu’il « faut » faire: supprimer le mal en supprimant l’autre qui en est la cause? L’idée que cela puisse arriver m’a effleuré l’esprit. Mais un jour, quelqu’un lui a parlé. Fort. Il semble que cela a porté puisque la personne s’est remise à penser à l’enfant délaissé et à permettre à son cœur blessé d’entreprendre les approches qui allaient réconcilier, d’abord avec l’idée, ensuite avec le geste. Et là, peu à peu, la rage contre l’ex s’est changée en colère et la colère en peine… C’est dans la peine que le travail du deuil peut se faire, enfin, allant parfois jusqu’à permettre des prises de conscience, parfois aussi un lien transformé.

La peine redonne au cœur son humanité. Le cœur est un organe vulnérable. Et en tant qu’organe vital, il a développé très tôt ses moyens de défense. Lorsqu’on lui fait mal, il se dresse d’un bloc, durci comme la pierre de lave. Le cœur de pierre n’est jamais un bon conseiller. Il lui faut retrouver ce qui en fait un organe de chair, vivant, souple, fragile. Cela n’arrive que si l’être qui a mal demeure dans son humanité. Avoir mal ne tue pas mais peut rendre malade. Devenir malade à en mourir peut tuer.

Réintégrer l’humanité

Lorsque le mal se transforme en maladie et que la psychose permet d’imaginer la solution libératrice, il importe plus que tout de ramener l’être souffrant à l’intérieur d’un cercle d’humanité. Ce n’est pas facile de se faire proche d’une personne enragée. Mais c’est une question de vie… pour éviter que cela en soit une de morts. Un ami doit pouvoir encaisser les coups de gueule, la déprime, l’envie de tuer en laissant dire, tout en ramenant parfois à la réalité: « Non, ça tu ne peux pas… Tu sais bien que ce n’est pas possible, que ça n’arrangera rien. » Lorsque la colère est vidée, l’espace se crée pour que la cicatrisation commence.

Mais nous manquons péniblement de ces amis qui savent écouter sans se compromettre, sans encourager le passage à l’acte tout en demeurant loyaux. On a tous tôt fait de déguerpir devant la souffrance psychique causée par l’amour, c’est trop épuisant. Le vide se fait alors peu à peu autour de l’être abandonné, paumé, choqué. Puisqu’il est déjà mort (already dead), il ne reste plus qu’à faire correspondre ce qui est, « en d’dans », avec ce qui est à faire, là. Une fois lancé, rien ne l’arrêtera plus. Et voilà que le mal est fait, entraînant dans sa foulée d’autres vies et causant plus de douleurs encore, et la colère, et la rage…

Je n’y vois qu’un immense cri de douleur qui n’a pu être contenu. Pour éviter que des gestes tragiques soient posés par des êtres blessés, il n’y a en effet qu’un remède, celui de l’amitié envers et contre tout. Mais où la trouver? Comment pouvoir compter sur quelqu’un qui nous accompagnera sur ce chemin de la souffrance? Bien souvent, les amis humains se désistent car ils ne supportent pas la douleur de l’autre. Cela ne s’invente pas, un tel ami fidèle. Alors, serait-ce une cause perdue? Pour nous, possible.

Pour moi, il reste l’Autre qui est tout autre: Dieu qui, en Jésus, a assumé sa vie humaine jusqu’au bout du mal le plus insensé. Le prier est un moyen réel pour se laisser toucher et parfois être guidé vers celui ou celle qui souffre. Prier pour avoir la force d’être avec. Prier pour que quelqu’un d’autre lui soit envoyé. Ou alors pour trouver la force de « secouer » le paumé pour qu’il regarde vers la lumière. Il ne peut la voir, enfermé qu’il est dans ses ténèbres, mais s’il arrive à l’imaginer, il saura l’espérer. L’espérance est déjà une lumière qui vient aussi d’en d’dans!

Nous sommes dans un monde où la lumière ne luit pas suffisamment pour attirer les mal-aimés, les immatures, les narcissiques. Pour qu’elle brille aux yeux des humains, il faut qu’elle s’alimente à la source. Pour moi, la source, c’est le Christ. Et le Christ est aussi la fin, la Lumière, celui qui accueille à bras ouverts les innocents tués, tout comme il peut aussi redonner son humanité perdue à celui qui aura posé le geste fatal. C’est à la fois un scandale, pour l’esprit humain, et la beauté sublime du pardon divin. Voilà. C’est dit.

1 Comments

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *