
Je suis souvent tombé sur des commentaires laissés à la suite de billets publiés sur différents blogues qui consistaient simplement à démolir les autres sur des arguments non fondés sur les idées, mais sur le fait que des personnes osent défendre des opinions différentes de la leur. On trouve de tels commentaires sur n’importe quel blogue : ceux de sports, ceux de journalistes d’opinion, ceux de politiciens, ceux de gens d’Église, ceux de mouvements démocratiques, etc. Je ne sais pas pour vous, mais je suis souvent choqué par ce que je lis, car on attaque les personnes en les traitant de noms disgracieux et en utilisant des expressions dégradantes, plutôt que de simplement argumenter contre leurs idées si on n’est pas d’accord.
Lundi, le maire de Saguenay a choisi de réciter la prière interdite avant le début du conseil municipal malgré les menaces qui pèsent sur lui d’outrage au tribunal. Le Collectif citoyens pour la démocratie (contre le « nous » inclusif du maire) s’y est donné rendez-vous pour manifester et dénoncer le maire. C’est un droit en démocratie et il faut le respecter. J’aime la démocratie. J’aime le débat d’idées. Mais j’ai le réflexe de me mettre sur la défensive lorsque je sens que ça devient personnel, qu’on attaque la personne dans sa dignité, d’un côté comme de l’autre. J’ai encore cette sensibilité d’adolescent qui a subi, pas plus que d’autres, les sarcasmes des plus grands qui s’en prenaient à ma taille. Ça fait partie de moi. Mais je ne suis pas seul, je l’ai vérifié tant de fois.
L’anonymat qui permet de dire n’importe quoi
Le mouvement laïque québécois a choisi de publier les commentaires haineux reçus à la suite de son appui à la contestation de la prière et des symboles religieux sur une page web intitulée Les amis du maire. On peut trouver que c’est justifié de faire savoir ce que les gens écrivent sur les autres, souvent de manière anonyme ou pseudonyme. Mais je vous rassure, la bêtise et l’insolence ne sont pas limitées à ces courriels pro-maire Tremblay. On trouve des commentaires aussi odieux sur différents sites de blogueurs dont celui de Patrick Lagacé par des lecteurs qui ne prennent pas le temps de la distance et qui écrivent comme ça vient, sans trop réfléchir (j’espère !). Il faut les parcourir un peu de temps en temps, pour la curiosité intellectuelle de constater que la haine et l’hostilité sont bien présentes de toutes parts et demandent à s’exprimer. Oui, le mépris et la diffamation se retrouvent en abondance de tous côtés.
Cette semaine, le reportage de Pierre Duchesne à l’émission Les coulisses du pouvoir sur le pouvoir politique des médias sociaux et l’anonymat de certains militants a fait la une. C’est là une autre dimension de cette nouvelle tribune que sont les blogues et le web 2.0. Certaines personnes ne peuvent se permettre de s’exprimer sous leur vrai nom. C’est justifié lorsque ces dernières peuvent être exposées à de la discrimination ou faire l’objet de menaces. En général, c’est surtout parce qu’elles expriment des faits vérifiables. Notre système démocratique a besoin de cet anonymat pour permettre d’orienter les enquêtes de gens compétents. Mais lorsque l’anonymat devient le moyen privilégié d’individus pour émettre des propos haineux et mensongers, pour attaquer des élus sur leurs attitudes ou leur personne, je me dis que les médias sociaux sont aussi des véhicules ambivalents car ils permettent une diffusion à large échelle et, peut-être, un auditoire pas suffisamment mature pour recevoir tout cela avec la bonne distance.
Peut-on aspirer à une société plus adulte ?
Les chicanes d’enfants d’école, comme on disait autrefois, se déportent souvent dans l’âge adulte. Or, en quoi reconnaît-on une personne adulte ? Olivier Reboul en fait cette définition :
La maturité, concept biologique et, par extension, psychologique, signifie l’état d’un organisme qui a atteint son plein développement; le signe le plus clair en est l’aptitude à la reproduction. La majorité, concept d’ordre juridique et social, est l’âge légal où l’on attribue à l’être humain l’entière responsabilité de ses actes, ainsi que les droits qu’elle implique; être majeur, c’est être homme ou femme à part entière, c’est pouvoir exercer les rôles essentiels à la vie sociale, dont les principaux sont le mariage, le métier, la citoyenneté, le plein usage de ses biens. […] L’âge de la maturité n’est pas toujours identique à la majorité; dans nos sociétés industrielles, l’âge où l’on peut exercer un métier, l’âge de la production est nettement postérieur à celui de la reproduction; et Rousseau voyait déjà dans ce décalage une des grandes sources de nos misères. Quant à la maturité psychologique, cette sûreté de jugement qu’on n’acquiert que par une longue expérience, elle n’arrive que fort tard, parfois même jamais.
C’est la dernière phrase qui me frappe. Je la lis et la relis. Je me désole sur le « parfois même jamais ». Et pourtant, cette maturité me paraît si essentielle ! Je pense que pour mériter un système démocratique, il faut développer cette maturité psychologique sans cesse et sans cesse. Cela signifie de pouvoir exercer sa maturité (physique) et sa majorité (ses droits) avec une capacité de percevoir les enjeux des questions de société et de rechercher le bien commun. Pour aujourd’hui, je me désole de constater que, collectivement et à partir de positions exprimées individuellement, le chemin vers la maturité humaine est encore bien long à parcourir…